Cet étonnant auteur de polars psychologiques suédois a un succès planétaire indéniable , ayant crée un héros Wallander, qui ressemble au Maigret de Simenon, c'est-à-dire un homme moyen reflétant la société de son époque et ses problèmes existentiels , sans arriver à faire bouger sa propre vie . Les lecteurs contemporains sont fascinés par des individus ( ou anti héros) comme Wallander qui ont des vies bloquées et sont guettés par le dépression et du coup se jettent sur Mankell un peu comme ils se jettent sur Murakami, dans une ruée d'auto identification qui est proprement un phénomène sociologique. Les gens ne sont pas idiots savent ce qui leur plait car ils souffrent des mêmes maux : inadaptation au réel ( au monde et aux autres) et repli sur soi ( dépression et paralysie ) : vous avez compris le succès inouï de Mankell.
Il est donc intéressant de voir ce que Mankell fait dans ce dernier roman où Wallander est absent et est remplacé par Fredrik Welin, chirurgien retraité qui vit reclus sur une ile de la Baltique depuis 10 ans sans contact avec le monde ; n'oublions pas ici que l'auteur est dans la vie le gendre du cinéaste Ingmar Bergman fameux pour son isolement insulaire dans les hivers terrifiants du Nord .Heros peu engageant : la routine est la même tous les jours, survivre, écouter la radio, écrire son journal , se baigner dans l' eau glacée ; il attend la mort. Il faut que l'action vienne de l'extérieur et elle va surgir en cascade par la figure de femmes uniquement. Tout d'abord une vieille femme en mauvais état avec son déambulateur apparait un jour, ayant accosté par bateau postal ; C'est Harriet , ancienne fiancée abandonnée par Welin qui vient demander des comptes avant de mourir. Elle sera suivie de Louise, sa fille et celle incidemment de Welin également, qui vit aussi isolée dans une communauté côtiere, dans une roulotte et ses chaussures italiennes .. Et finalement Agnès, l'ancienne patiente que le chirurgien Welin a amputée d'un bras dans une opération ratée du passé, est conctactée par lui qui arrive à quitter son île .Festival de l'aliénation évidemment , tous ces gens sont des marginaux par choix ,sans aucun intérêt direz-vous, mais curieusement Mankell arrive à tisser un récit cohérent et humain de cet imbroglio qui est passionnant avec les occupations incroyables de ces dames qui les relient au monde organisé.
D'abord Harriet avec son cancer terminal sera prise en charge par la sécurité sociale à Stockholm ( normal) ,ensuite Louise ira faire une manif devant les députés européens ( assez ordinaire ) , et Agnès, la plus drôle, a recueilli des filles immigrées orientales battues , sauvages et schizoïdes et leur sert de mère en se débattant parmi les fugues ,les crises de rage , et le manque de fonds . .. Ceci touche donc à la question immigrée en Suède, sujet brulant dans toue l'Europe actuelle et dont Mankell se fait l'écho ici (il habite la moitie de l'année au Mozambique ou il fait du travail social ),sans y trouver de solution. Mais le piquant ici vient du fait que ces femmes demandent toutes des comptes à Welin,qui représente donc en victime expiatoire, la société contemporaine . Société accusée de tous les maux : elle est inadaptée aux besoins humains, froide et impersonnelle, immorale et sans pitié envers les réfugiés , et surtout cruelle envers les femmes, les seules qui donnent la vie et la nourrissent . Un réquisitoire impitoyable mais fait à travers les péripéties de l'intrigue qui est bien ficelée et évidemment transforment la vie du reclus agressé dans son refuge insulaire . Il bouge enfin vers une fin de vie humaine..
Voici donc un roman féministe, et on se demande si Mankell l'a voulu comme tel car le statut de Robinson lui plait beaucoup et le dépression, maladie moderne chronique , est une chose qu'il connait très bien ; on peut dire que son livre est un combat et une méditation sur la mort : on ne peut pas mourir seul sur une île sans avoir résolu toutes les trahisons et abandons de sa vie passée.