Ce roman si beau et si terrible d'une femme- écrivain reconnue déjà comme talentueuse et d'origine africaine, nous fait entrer d'emblée dans un monde de souffrance et d'humiliation particulier ,qui est très différent du vêcu européen, même du monde de Zola ou de Dickens qui sont les grands romanciers de la douleur, de la pauvreté et de le destitution. Des femmes puissantes , ces héroïnes de Ndiaye ? Que non . Car les trois femmes dont il est question sont toutes des objets qui exercent une certaine puissance d'attraction sur d'autres êtres ( des hommes inévitablement ) qui les manipulent ou les exploitent sans vergogne . Elles essaient d'être des sujets mais y parviennent à peine, elles essaient de survivre et sont presque écrasées, mais elles ont une fortitude inébranlable.
Tout d'abord il y a ce style ample, lyrique, qui ose de longues périodes du genre Chateaubriand ; voici une plume rare qui décrit un monde complexe de par les hommes qui le peuplent, la nature et ses rythmes .Tout à fait somptueux dans sa beauté ce style baigne les trois récits . Rien que cela justifierait le Goncourt.
La première Femme est Norah, courageuse métisse immigrée , devenue avocate en France , qui se voit rappeler en Afrique par un père abusif, sadique, alcoolique et déchu, un vrai Karamazov, pour défendre au tribunal son frére meurtrier en prison… Le fils bienaimé ! Tout le malheur et la malédiction de l'Afrique la frappe d'un seul coup , sa vie est coupée en deux ,elle est obligée de replonger et d'aider ceux qui ont fauté. Et cette femme puissante est fauchée bloquée dans ce qu'elle a su bâtir ; mais elle est heureusement avocate et sans illusions.
La deuxiéme Femme est Fanta , jolie petite enseignante Sénégalaise toute guillerette qui se laisse emmener en France par son idiot de mari , petit blanc raté, où ils se retrouvent tous les deux sans boulot dans une banlieue sinistre. Cette femme qui est le seul trésor de son mari , nous est cependant inconnue : elle est une présence forte dans le récit ,sans paroles presque , inaccessible , fermée sur elle-même . Couple souffrant et humilié , la France se révèle pour eux un enfer et le paradis perdu est l'Afrique .
La troisième Femme Khady, est absolument tragique et représente le cauchemar des Européens : l'immigrée clandestine qui meurt écartelée et sanglante sur le grillage frontalier du Maroc .L'image de l'Europe forteresse cruelle et sans pitié se dresse ici .Or cette malheureuse est la victime des Africains tribaux qui eux-mêmes se battent pour survivre .Khady est un rebut rejetée par tous, objet de souffrances et d'agressions abominables , mais femme puissante malgré tout, qui arrivera à garder dans cette odyssée du malheur sa dignité sa propre humanité. Ce roman bouleversant par ces trois destins de Femmes emblèmatiques ,remet les pendules à l'heure en ce qui concerne le féminisme triomphant et les droits de l'Homme dont nous nous gargarisons en Europe : les autres continents n'ont guère ce loisir et sont encore dans les affres de la survie.