Voici un intéressant roman d'une romancière française vivant à Manhattan, qui écrit beaucoup sur le couple, la sexualité, le désir, et aussi les conflits de la vie moderne déracinée. Ce dernier livre est son plus grand succès de librairie depuis « Le Problème avec Jane « paru en 1999 qui aussi parlait des tribulations conjugales et professionnelles d'une prof de fac ( ce que Cusset fut longtemps elle-même à Yale),et se démarque par un rythme saccadé, heurté, presque frénétique causé par l'urgence de ces Roumains absolument résolus à quitter par tous les moyens leur terrible pays au temps de Ceausescu. On voit donc cette odyssée terrible se dérouler, les affres du départ, les vieux parents à quitter,le mari juif discriminé, le manque d'argent, l'attente des visas, la première émigration en Israël en pleine guerre comme d'habitude , la fuite d'Israël et finalement le départ aux USA , terre d'asile rêvée ou la vraie vie va commencer pour des quarantenaires épuisés , ne parlant pas anglais… Comme si le paradis existait !
L'horreur vécue et le courage héroïque de ces trois vies, la triade initiale ( père, mère, fils) est exemplaire : ils vont qui atterrir en Amérique, dans cette culture extraordinaire pleine de promesses mais la plus dure sur terre ( à part la Chine peut etre ?) , dont ils ne connaissent rien. Récit ravageur et tuant . Lire ce roman est épuisant , écrit en chronologie alternative : un chapître maintenant en Amérique dans la vieillesse , un chapître dans le passé européen au milieu de la bataille pour la survie… sans répit, style saccadé, incisif, dialogues brefs et brutaux . Ce qui domine est l'affreuse présence castratrice de la mère, Elena, une hystérique infernale jamais satisfaite ,manipulatrice de première et qui pousse à la réussite coûte que coûte . Quelle femme terrible , quel portrait incroyable du monstre familial , le père en meurt avec un Alzheimer bien senti et le fils se terre dans un mariage balançoire avec une française rétive et rebelle à cette belle mère terrifiante. Quelle lecture, j'en suis encore pétrifiée. Cusset a donné ici un roman- coup de point sensationnel.
Evidemment le fils, Alexandru, le héros malgré lui se trouve après un diplôme brillant décroché à Harvard, jeté dans la bataille du business life de Manhattan. Le pauvre n'est pas un tueur ni un dur ,il n'y arrive pas vraiment ; il ne fait que travailler, se tue à l'effort , ne trouve pas à se loger , ne devient pas du tout « a big success »comme Elena l'avait rêvé . N'est pas un » American businessman « pur et dur qui veut, dans cette lutte des requins, dont les Européens n'ont aucune idée d'ailleurs et c'est bien le point le plus intéressant du livre : la vraie compétition existe et est absolument implacable et personne en Europe n'est en fait équipé pour y faire face : les codes sont à apprendre depuis l'enfance.La société dite « ultra libérale » , vous voulez rire, personne ne l'a jamais vue en Europe et encore moins en France .Voyez l'Odyssée de Steve Jobs à Apple , voilà un roman en soi, bien américain.